Entre contrôles renforcés, interpellations record et expulsions en hausse, 2024 marque un tournant dans la politique migratoire française. Les sans-papiers vivent désormais sous une surveillance accrue, symbole d’une stratégie gouvernementale plus ferme.
147 154 sans-papiers interpellés en 2024
La lutte contre l’immigration irrégulière bat son plein depuis 2024. Partout en France, les opérations menées par les forces de l’ordre se multiplient, ciblant les étrangers sans-papiers.
Selon la Direction générale des étrangers en France, 147 154 personnes ont été interpellées au cours de l’année — soit une hausse de 18,9 % par rapport à 2023. Une progression spectaculaire qui illustre la montée en puissance des contrôles et la volonté du gouvernement d’afficher des résultats concrets sur le terrain.
Cette traque de sans-papiers continue à ce jour et s’étend aussi sur les collectivités d’outre-mer. Le 14 octobre 2025, le service de police aux frontières de Saint-Martin ont pu intercepter 97 personnes et 46 véhicules en seulement une demi-heure. Deux étrangers ont reçu une obligation de quitter le territoire et un a été assigné à résidence.

Explosion des sorties du territoire depuis 2020
Les sorties du territoire de ressortissants étrangers en situation irrégulière s’enchaînent à grande vitesse depuis l’année 2020. Cette année-là, la Direction générale des étrangers en France recensait 15 949 éloignements.
En 2024, le chiffre grimpe à 27 791, soit une envolée de 74,4 %. Comparée à l’année précédente, qui en dénombrait 22 704 sorties, l’augmentation reste marquée : 26,7 % de plus, preuve que la “machine” à expulsion tourne à plein régime.
Les dessous de cette hausse des éloignements du territoire
Cette hausse constante s’explique par de nombreuses raisons.
Les éloignements spontanés
Ce sont principalement les éloignements spontanés qui tirent ces chiffres à la hausse, avec un taux de 66,8% de plus qu’en 2023.
Ces départs concernent les étrangers en situation irrégulière qui, après avoir reçu une OQTF, décident de quitter la France volontairement, sans contrainte policière ni aide de l’État.
Selon les statistiques de la Direction générale des étrangers en France, ils étaient au nombre de 4 159 en 2024, dont 3034 originaires de pays tiers et 225 d’Europe.
Les éloignements aidés
Les éloignements aidés nourrissent aussi cette croissance du nombre des sorties du territoire, atteignant 4 586 cas en France métropolitaine au cours de l’année 2024.
Ce type de départ concerne les ressortissants sous OQTF qui choisissent de rentrer dans leur pays d’origine avec un coup de pouce de l’Ofii.
En plus d’une aide administrative et matérielle, cela inclut :
- une prise en charge des frais de transport depuis le lieu de départ jusqu’à l’arrivée,
- une allocation forfaitaire incitative dont le montant est dégressif en fonction de la durée écoulée entre la réception de l’OQTF et la date de demande de l’aide,
- ainsi qu’une allocation forfaitaire complémentaire de 150 euros pour les titulaires d’un document de voyage valide.
Au cours de l’année 2024, l’Ofii a accordé 6908 aides au retour, soit une légère hausse de 2,6% par rapport à l’année précédente. Ce chiffre inclut les aides accordées aux étrangers en France et dans les DOM/COM.

Les éloignements forcés
Parmi les 27 791 éloignements recensés en 2024, 12 856 ont été réalisés sous la contrainte. Autrement dit, près d’une personne sur deux a été expulsée contre sa volonté. Si le volume reste impressionnant, la hausse demeure plus modérée : +9,7 % par rapport à 2023, où l’on comptait 11 722 départs forcés.
Ce type de mesure intervient généralement après une décision administrative ou judiciaire, le plus souvent à la suite d’un arrêté préfectoral d’expulsion (APE), d’un arrêté ministériel d’expulsion (AME) ou d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Chaque procédure répond à un motif précis — trouble à l’ordre public, séjour irrégulier, condamnation pénale — et relève d’une autorité différente, du préfet au ministre de l’Intérieur.
Voici un tableau descriptif pour vous permettre d’en apprendre davantage sur le sujet.
| APE | AME | OQTF | |
| Décideur | Préfet du lieu de résidence ou du département où se situe l’établissement pénitencier | Ministre de l’Intérieur | Préfet du lieu de résidence |
| Motifs | – Comportements terroristes, – Actes de provocation délibérée à la discrimination, – Incitation à la haine – Actes de violence – Violation délibérée et grave des principes républicains – Condamnation pour crimes et délits ou récidive – Situation de polygamie – Irrégularité du séjour | – Menace pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique – Atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, – Violation des principes de la République, – Activités terroristes | – Irrégularité de séjour – Exercice d’une activité professionnelle sans autorisation – Menace pour l’ordre public – Refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour pour fraude – Risques de fuite |
| Départ | Le départ est immédiat. Dans le cas contraire, l’étranger est placé en CRA le temps que l’administration prépare son retour vers : – son pays d’origine, – un pays qui lui a octroyé un document de voyage valide, – un pays où il est accepté. L’étranger est forcé à monter dans un moyen de transport et est escorté par les forces de l’ordre tout au long du voyage. | L’étranger doit quitter l’Hexagone par ses propres moyens. Dans le cas contraire, l’administration française organisera son départ. Il pourra alors être envoyé vers : – son pays d’origine, – le dernier pays qui lui a délivré un document de séjour valide – ou un pays dans lequel il est admis. | |
| Recours possibles | Deux recours possibles : – recours en annulation devant le tribunal administratif compétent – et recours en abrogation auprès de l’administration donnant lieu au réexamen de la mesure d’expulsion. L’appui d’un avocat en droit des étrangers est indispensable. | Recours gracieux auprès de la préfecture ou hiérarchique devant le ministre de l’Intérieur. Recours contentieux auprès du tribunal administratif dans un délai : – d’un mois en cas d’OQTF avec un délai de 30 jours – de 48 h en cas d’OQTF assortie d’un placement en CRA – de 7 jours en cas d’OQTF avec assignation à résidence. | |
2024 : les non-admissions à la frontière en chute libre et les réadmissions décuplées
Outre la hausse des éloignements du territoire et la traque des sans-papiers, l’année 2024 est aussi marquée par la chute libre des non-admissions à la frontière. Pour rappel, cette décision administrative est prise par un garde-frontière à l’encontre d’un immigré ne remplissant pas les conditions d’entrée dans l’espace Schengen ou en France.
La Direction générale des étrangers en France en a recensé 16 636 cas en 2024, soit moins de 79% par rapport à 2023 (79318). À l’inverse, les réadmissions ont grimpé de 691,1 %, avec 14 644 cas contre seulement 1851 en 2023.
Cette différence résulte de la décision du Conseil d’état du 2 février 2024 suite à une requête de l’association Avocats pour la Défense des Droits des Étrangers (ADDE) portant sur la procédure de non-admission aux frontières.
Désormais, les étrangers en situation irrégulière refusés aux frontières doivent faire l’objet :
- d’une réadmission simplifiée – c’est-à-dire une remise aux frontières de l’État Schengen de dernière provenance – qui est la mesure la plus privilégiée,
- d’un placement en centre de rétention administrative
- ou d’une obligation de quitter le territoire.
Dans le premier cas de figure, les ressortissants doivent :
- engager une procédure de vérification d’identité d’une durée de 4 heures,
- ou faire l’objet d’une mesure de retenue pour vérification du droit au séjour pendant une durée maximale de 24 heures en attendant que les autorités de l’État de provenance statuent sur la demande de réadmission.
C’est une victoire pour Maître Patrice Spinosi, avocat de l’ADDE, qui estime que “le refus d’entrée, qui était dans une zone grise, doit être soumis à la législation européenne et internationale”.