Deux cent dix jours de rétention administrative, c’est désormais la sanction qui attend les ressortissants étrangers jugés “dangereux” sur le territoire français. Cette mesure, née d’une proposition de loi de Bruno Retailleau et adoptée le 2 juillet 2025, s’inscrit dans une politique de fermeté migratoire et de renforcement de la sécurité publique. Décryptage.
Meurtre de Philippine, le point de bascule vers une législation d’exception
C’est un drame qui a bouleversé la France le 21 septembre 2024. Philippine Le Noir de Carlan, étudiante de 19 ans, a été retrouvée morte dans le bois de Boulogne à Paris.
Elle avait été violée et tuée par un ressortissant marocain en situation irrégulière, déjà connu par les services de police pour des faits de violences sexuelles. L’homme, sous OQTF, venait tout juste de sortir d’un centre de rétention administrative, après 45 jours de détention.
L’émotion nationale est immédiate, la colère politique aussi. Pour une partie de la droite, cette tragédie incarne les failles d’un système migratoire trop permissif. À l’initiative de Bruno Retailleau et portée au Sénat par Jacqueline Eustache-Brinio, la proposition de loi visant à allonger la durée de la rétention administrative voit alors le jour.
Après de vifs débats, la mesure a finalement été adoptée au soir du mercredi 2 juillet 2025. Mais ce virage sécuritaire ne fait pas l’unanimité. Si tous saluent la mémoire de Philippine, la Ligue des droits de l’Homme rappelle que « l’exception ne doit pas devenir la règle. »

À qui s’applique les 210 jours de rétention administrative ?
Jusqu’ici, les 210 jours de rétention administrative étaient seulement réservés aux personnes condamnées pour des actes de terrorisme. Les autres étrangers écopaient simplement d’un placement en CRA maximal de 90 jours.
Cette nouvelle loi, dont le but est de simplifier le maintien en rétention des personnes dangereuses, change la donne.
Désormais, cette durée prolongée s’applique à tout étranger :
- constituant une menace pour l’ordre public,
- condamné pour des crimes ou délits graves,
- et faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou d’une interdiction du territoire.
Une mesure dont l’efficacité reste à prouver
Présentée comme un outil de protection nationale, cette mesure portant sur l’extension de la durée de placement en CRA constitue un levier supplémentaire pour organiser et faciliter les expulsions.
Pourtant, son efficacité interroge de nombreuses associations comme la Cimade qui estime que la prolongation de la durée en rétention n’a jamais entraîné une véritable augmentation des expulsions.
Elle souligne notamment les difficultés relatives à l’obtention des laissez-passer consulaires qui représentent les principaux freins à l’exécution des expulsions. Concrètement, le pays d’origine de l’étranger sous OQTF doit délivrer à la France un document attestant son identité et accepter son retour. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.
“La durée moyenne passait de 12,8 jours en 2017 à 32,8 jours en 2024. Le nombre de personnes expulsées dans l’Hexagone passait, sur la même période, de 10 114 à 5 178. “ peut-on lire dans un communiqué publié le 1er juillet 2025 et signé par plusieurs organisations dont la Cimade, France terre d’asile, Forum Réfugiés, L’Anafé, Syndicat des avocats de France et l’ADDE.

Prolongation de la durée de rétention en CRA : une disposition plus que coûteuse
Outre l’inefficacité de cette nouvelle mesure, la Cimade souligne, dans son communiqué du 1ᵉʳ juillet 2025, les coûts importants qu’elle engendre et leurs impacts sur les finances publiques.
Selon le média PolitiqueMatin, l’État dépense 700 euros par jour pour chaque individu. Un coût démesuré sachant que les CRA hébergent actuellement 49 000 étrangers qui représentent déjà près de 8 milliards d’euros de dépenses annuelles.
Les conditions précaires des personnes détenues en CRA
Les associations en faveur du droit des étrangers déplorent également les conditions difficiles des individus retenus en CRA.
“C’est sale, c’est violent.” a déclaré la secrétaire de l’association Cercle des voisins du centre de Cornebarrieu, Michèle Crémoux. Dans son discours, elle explique avoir discuté avec certains policiers qui ont l’impression d’être devenus des gardiens de prison.
La situation risque de se corser davantage, car le Sénat a adopté en mai 2025 une proposition de loi dont l’objectif est d’écarter les structures associatives comme la Cimade des centres de rétention.
Dans l’éventualité où l’Assemblée nationale décidait d’adopter ce texte, l’assistance juridique des personnes détenues relèverait de la responsabilité de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).